Powered By Blogger

lundi 17 février 2014

Histoires Grivoises (Rester sur sa faim)



Rester sur sa faim






                Jean sentait en lui un vide de plus en plus grand. Une absence de motivation totale. Il ne vivait que pour des sensations fortes, qui se faisaient aussi rares que de la marde de pape. Il avait essayé la drogue. Ça semblait avoir fonctionné un moment. En fait, ça avait marché, oui, d’une certaine façon le pot chassait son ennui et sa déprime. Mais la dope le faisait dépérir à vue d’œil. Il ne consommait que du cannabis certes, mais il se repliait sur lui-même et commençait à souffrir d’anxiété chronique. Il se lança alors dans l’alcool. Le meilleur moyen pour lui de se bâtir une vie sociale grâce aux merveilleuses personnes fréquentant les bars, les brasseries, les tavernes et même les boîtes de nuit. Se foutre saoul, tous les soirs, cette ivresse quotidienne, ça le rendait fort. Ça lui donnait même plus confiance en lui et une plus grande estime vis-à-vis de sa personne. Quand il avait descendu une bouteille de vin et quelques bières, il n’avait aucune misère à aborder une jolie dame dans un club. Il ramena quelques pétasses de clubs puis s’en lassa très vite. Étrangement sa haine des gens en particulier avait monté d’un échelon depuis ses séjours dans les boîtes de nuit. Un ramassis de pétasses se collant, se trémoussant et se dandinant, le cul sur le type ayant les plus gros bras de la place. Bien sûr, une voiture modifiée avec un gros moteur aide beaucoup à se ramener la plus salope du bar. Mais réveiller tout le voisinage à trois heures du matin avec une putain de fusée sur roue, ÇA FAIT CHIER.

                Ensuite Jean est passé aux putes. Il passait tous ses chèques de chômage dans les prostituées. Il avait perdu son emploi lorsqu’il ne s’était pas présenté au travail sept jours d’affilés. Quoi? La convention collective lui donnait sept jours de maladies payées par année. Il les prit d’un seul coup et voilà que le patronat lui tombait sur la tête. Il perdit son emploi, mais ces conards lui avaient au moins promis qu’il toucherait le chômage. Du coup, il passait son chèque de chômage en se payant des putes et de l’alcool. Quand le chômage lui dit qu’il était temps d’aller chercher du travail pour continuer de recevoir ses chèques, il se rendit dans de grands immeubles du centre-ville et appliqua sur plusieurs postes. Journaliste, contremaitre aux docks de Montréal, architecte, etc. Seulement des postes auxquelles il n’avait aucune formation, du coup il répondait aux demandes du bureau de chômage et aussi il savait très bien qu’il ne travaillerait pas de si tôt. Ce qui lui permettrait de continuer à toucher son chômage et de profiter du temps libre. Il ne reçut plus de chèque. Sous prétexte qu’ils savaient très bien qu’il ne pourrait être choisi pour ces différents postes. Ils ont aussi dit qu’il devrait chercher un emploi dans le domaine de la viande étant donné qu’il avait son cours de boucher et qu’il avait travaillé plus de dix ans dans plusieurs boucheries. Jean leur mentionna qu’il n’aimait plus son travail, mais ils ne voulaient rien comprendre. Décidément le chômage ne lui donnerait plus un rond. Jean ne pouvait même plus se payer des putes. Et d’ailleurs, il n’en avait même plus envie. Il alla s’inscrire au Bien-être social et comme tout bon B.S. il se trouva un emploi au noir. Maintenant il visitait le Casino de Montréal plusieurs fois par semaine. Ces enfoirés. Ils vous font gagner quand vous êtes nouveau client et puis vous gardez l’espoir de gagner encore. Mais malheureusement la plupart du temps, tout l’argent se ramasse dans les poches des dirigeants et des actionnaires de ce foutu casino. Mais quand Jean gagnait l’euphorie était intense, il continuait à miser l’argent gagné dans le but de gagner toujours plus. C’était un thrill qui remplissait ce vide de sensation qui s’étendait en lui telle une maladie qui lentement vous détruit les organes ou bien qui vous rend de plus en plus faible. Sans cesse la phrase de Diane, son ex, lui revenait en tête « T’es un minable et tu ne changeras jamais ». Qui était elle pour juger qui avait raison à propos de lui?

                Jean passait de plus en plus de temps au Casino, tellement qu’il finit par se faire renvoyer de son travail au noir. Il vivait du bien-être social maintenant et aussi sur le crédit. Il possédait plusieurs cartes de crédit qu’il ne mit pas grand temps à remplir. Il était maintenant endetté. Sans emploi, sans femme et alors qu’il insérait le dernier vingt dollars qui lui restait dans une machine à poker.  Son téléphone sonna. C’était son propriétaire. Il criait, hurlait et vomissait des injures aux oreilles peu attentives de Jean. Comprenable, il venait tout juste gagner 120 crédits donc il revenait à sa mise d’origine de vingt dollars. Tout n’était pas perdu. Il raccrocha la ligne pour mettre fin aux cris du proprio. Ex-proprio. Tout ce que Jean avait compris à la conversation était : « Tu me dois trois mois de loyer, pauvre con! La régie est au courant. T’es out mon chum! Tes affaires vont être sur le bord de la rue demain matin. Et au fait, on se revoit à la cour municipale CONARD! »
                Génial, plus de loyer, et maintenant plus un rond. Il fouilla ses poches et trouva plusieurs pièces d’un dollar. Il se rendit au bar du Casino et but quatre bières dans le temps de le dire. Puis il retourna au stationnement. C’était P-6 dans le sous-sol. Il faisait très chaud et les quatre bières que Jean avait bues en dix minutes lui donnaient des chaleurs et des étourdissements. Il trouva son auto et démarra. Il se rendit sur la rue Sainte-Catherine à la recherche d’une pute. Il n’avait plus d’oseille, mais il s’en foutait. Quitte à tout perdre, il baiserait cette pétasse et la crisserait là sur le coin de la rue. Il en trouva une. Elle était un peu vieille pour une pute. Peut-être quarante ans, mais une belle shape. Il s’approcha et lui demanda son tarif, histoire d’agir normalement. Il n’écouta pas la réponse et dit que c’était O.K.  Elle monta, il la baisa pendant presque une heure. Elle puait de la gueule et cela rendait l’éjaculation difficile, mais il finit par aboutir. Quand ils se rhabillèrent et qu’elle lui demanda l’argent, une idée lui passa à l’esprit. Il suivit cette idée. Jean lui dit qu’il devait aller au guichet à deux coins de rue de là et ensuite il pourrait payer. Elle accepta avec un léger doute, mais bon, elle avait besoin de cet argent. Elle avait une bouche à nourrir (vous saisissez la blague?). Jean se rendit deux coins de rue plus loin et stationna l’auto. La rue était déserte et il n’y avait aucun guichet automatique. La pute lui demanda où il irait chercher le fric. C’est à ce moment que Jean la saisit par le cou et se mit à serrer de toute ses forces. Plus tôt il avait remarqué du coin de l’œil que la prostituée avait un sacré montant dans sa sacoche. Il n’avait plus rien à perdre. Et sérieusement il se foutait bien des conséquences. Il voulait jouer, une dernière fois tenter le tout pour le tout. Et boire un coup. S’il gagnait un bon montant, il s’enfuirait au Mexique et tenterait une autre fois de refaire sa vie. Il serrait toujours. La pute tenait bon. Elle lâchait quelques sons gutturaux et glauques, mais elle finit par se taire. Elle était bleue et les veines de son cou avaient éclaté, formant une sorte de tatouage tribale sur ce cou brisé. Jean prit l’argent et la drogue de la putain et le foutu en dehors de sa voiture. Là, tout bonnement, sur le pavé d’une rue de Montréal. Il retourna au Casino. Dans le P-6 il prit toute la cocaïne de la pute et se rendit aux  tables de blackjack allumé comme une télé. Il commanda une bouteille complète de Appleton; le meilleur rhum brun. Il joua comme un roi, de grosses mises, de grandes gorgées de rhum et il jouait sans remords l’argent d’un mort. Des fois, la vie est bien faite. Il finit la bouteille de rhum en même temps que sa dernière mise et se fit expulser du Casino pour avoir vomi sur la table de jeu. Les gros gorilles du Casino qui servaient de gardiens de sécurité avaient de la classe. Ils l’avaient amené à sa voiture. Il était salement saoul. Un des gorilles lui dit de dormir avant de conduire sinon il appellerait la police. Jean démarra sa voiture et le gorille lui cria que la police était en route et qu’elle avait son numéro de plaque de voiture. Jean l’envoya chier. Il partit en roulant à 50 km/h dans le stationnement souterrain. Il heurta plusieurs voitures et de nombreuses personnes lui criaient de ralentir et de faire attention. Jean continua. Il sortit du stationnement et fut face à face à deux voitures de police. Il freina, mais il laissa le moteur en marche. Les policiers lui hurlaient de sortir de la voiture. Jean fit un signe du doigt. « Juste un instant S.V.P». Ils continuèrent à lui ordonner de sortir de la voiture les mains en l’air. Jean prit son cellulaire et composa un numéro. Après plusieurs coups quelqu’un répondit.

« Allô?
— Salut Diane.
— Jean, c’est toi? 
-...Ouais... Je tenais juste à te dire...
— T’as bu Jean? Encore?
— C'est pas ça qui est important Diane...
— Non, ça je le sais, il n’y a pas grand-chose d’important pour toi à part l’alcool et le jeu! Tu vas toujours rester un minable! C’est ça que ça fait, un minable. Ça appelle son ex à deux heures du matin saoul mort en voulant s’excuser. Ça marchera pas Jean, pas cette fois. Je sais que tu changeras jamais...
— DIANE! Écoute-moi, calvaire! C’est pour ça que j’t’appelle.
— Pourquoi pour me dire que tu changeras jamais?
— Exactement, je tiens à m’excuser, quand je t’ai dit que tu étais folle de penser ça de moi, tu avais raison.
— Jean...
— Tu avais raison, je suis un minable, un alcoolique, un drogué, un accro à tout sauf au bonheur. Et voilà that's it.  Je voulais juste m’excuser de ne pas t’avoir écouté quand tu disais vouloir m’aider... Pardonne-moi Diane.
— Écoute Jean... Ce serait mieux d’en parler en personne. Viens me voir. Tu veux?
— Bien sûr. Mais, avant, dis-moi que tu me pardonnes. S’il te plait, Diane peut-tu me pardonner?
— Oui, Jean, je te pardonne. Mais là, viens me voir tout de suite! Es-tu O.K pour conduire? J’peux aller te prendre. »

Les policiers étaient maintenant sortis de leur voiture et pointaient leur arme vers Jean en lui ordonnant de SORTIR LES MAINS EN L’AIR. Il fit signe du doigt encore. Quelques secondes encore, c’est tout ce qu’il voulait.

« Alors tu me pardonnes Diane?
— Oui Jean, pauvre fou! Tu t’en viens maintenant?
— Merci, Diane, c’est ce que je voulais entendre.
— Jean! Tu viens me voir ou non?
— Oui mon amour, je m’en viens. Je suis déjà en route.
— Super! À tantôt Jean.
— Oui Diane à tantôt. »

Jean raccrocha. Il s’apprêtait à sortir de sa voiture pour se rendre, lorsqu’il remarqua la sacoche de la pute sur le siège passager. Ah merde! Il avait tué une pute. Il était vraiment dans la merde. Il remarqua quelque chose, quelque chose qui brillait, qui s’instillait à l’intérieur de la sacoche. Il se pencha et regarda à l’intérieur. Il fut ravi de ce qu’il trouva. Malheureusement pour elle, la pute ne l’avait pas eu en main au bon moment. Jean, lui, il l’avait au bon moment, oui. Il prit le 357 Magnum chargé à bloc, se pencha pour ne pas le mettre à la vue des policiers et se le mit en pleine gueule. Il ne changerait donc jamais. À quoi bon continuer de s’enliser dans la merde jusqu’à se noyer dedans. Il pressa la détente et le haut de son crâne éclaboussa l’intérieur de la vielle Pontiac Sunfire. Alors que la vie de Jean avait pris fin. Diane de son côté encore, à cause de Jean, resterait sur sa faim.

Maxime Thibodeau
2013.12.01